lundi 24 août 2015

Paris-Brest-Paris 2015 épisode 3

Donc me voilà muni de chaussettes de contention qui, comme leur nom l'indique, contiennent la douleur causée par des œdèmes qui ont eu la mauvaise idée de s'inviter à la fête. J'imagine de petits korrigans à l'esprit sournois qui s'accrochent à mes pattes et m'infligent sadiquement des coups de pied dans les tibias. Si l'on rajoute à ça des irritations aiguës au fessier, il faut vraiment que le PBP soit un événement exceptionnel pour que je continue à m'y plaire... C'est le tout début d'après-midi du mercredi, il commence à faire chaud et surtout les bosses me lassent. C'est le signe qu'il faut s'arrêter. Malheureusement le contrôle de Villaines-la-Juel tarde à se présenter.
Miracle de Paris-Brest ! au détour d'un virage apparaît, telle une oasis dans le désert, une petite famille avec équipement de camping. Le petit garçon est posté quelques mètres avant et annonce "tout est gratuit !" la maman tient la poêle à crêpes  pendant que le papa, la petite fille et les grands-parents servent des boissons. Le tableau idyllique de la famille parfaite, celle qui a déjà sa place réservée au paradis ! Je pose mon vélo et tout de suite on me propose un fauteuil de camping. Vous savez, celui en toile et à ressort, qu'on réserve toujours à Papy sur la plage. "Je fais pitié à ce point ?" dis-je avant de m'affaler sans complexe dans le dit-fauteuil.

Avant Villaines il y a Loupfougères. Et voilà que je passe le 1001ème kilomètres après 67 heures de route. C'est marrant, mais le premier 1000 est plus émouvant que le premier 700, 800 ou même 900...
Ah ! enfin Villaines-la-Juhel ! Une foule impressionnante de spectateurs nous accueillent tels des champions du Tour de France !
Bon là j'ai à nouveau vraiment du mal à marcher. Je mets des gamins volontaires à contribution pour aller me remplir les bidons. 15 mètres d'économisés c'est toujours ça. Merci Jules ! Je mange un bout en prenant mon temps et je repars. Au moment d'enfourcher mon vélo, je vois un des catalans arriver. C'est Manuel, pas celui qui parle bien français, l'autre (les catalans ont tendance à s'appeler Manuel). Ils arrivent après avoir fait leur nuit à Tinténiac et là ils s'arrêtent manger. Je lui dis que moi je pars. On se souhaite bonne route. Il me dit quelque chose en catalan qui semble gentil et encourageant.
C'est dans cette partie que l'on trouve les passages les plus roulants. Histoire de me dégourdir les jambes je m'accroche à un groupe parti le lundi matin et qui roule à bonne allure. Cela fait du bien d'avoir l'impression de rouler ! Je me paye même le plaisir de les mettre à la peine dans les côtes ! On s'amuse comme on peut...
Je m'arrête dans une épicerie tenue par une slovène. Elle se plaint du boulot que c'est de tenir la boutique 24/24. Je l'encourage et lui dit qu'elle a beaucoup de mérite.
Les kilomètres défilent, monotones. Je me mets à chanter pour passer le temps. J'invente une nouvelle version de l'Internationale avec des randonneurs (mondiaux) dedans. Un spectateur me dit : "c'est bien, vous avez la patate !"
Tu parles Charles... En fait c'est la fin de journée et je commence à fatiguer. Mon esprit vagabonde. Je refais le fil des journées écoulées. Le dimanche soir du départ me semble très très loin. Sur un si long parcours on passe par toutes sortes d'ambiances. Selon les personnes avec qui l'on roule, les nationalités. On peut s'amuser avec les clichés qui se vérifient parfois. Les Américains parlent fort, imposent leur présence et semblent un brin prétentieux. Les Italiens roulent des mécaniques évidemment ! Ils nous doublent en groupe compact, puis s'arrêtent faire une pause, comme pour avoir le plaisir de nous doubler à nouveau... La nation la plus représentée était de loin la Bretagne. Ah ! qu'est-ce qu'ils sont sympas les Bretons !...
Bon voilà pour les réflexions vaseuses qui occupent les temps morts... Enfin, j'arrive à Mortagne au Perche. Il est 20h19. Je suis fatigué et j'ai faim. Je décide de satisfaire en premier lieu le ventre. J'ai sûrement tort de négliger ainsi le sommeil...
Dans le hall de Mortagne je reconnais les deux rédacteurs de l'excellent magazine 200 (200-lemagazine.com). Je suis bien content de faire leur connaissance, moi qui suis un fervent lecteur de ce magazine sur la longue distance. Ils me proposent de manger avec eux. Alain fait son premier PBP et Thierry fait l’assistance. Ils nous raconteront cette aventure dans le prochain numéro prévu en octobre. Je suis dans mon élément : rencontrer du monde, discuter, parler du vélo et pas seulement en faire. Dès que j'ai l'occasion, je discute aussi avec les bénévoles, qui ont plaisir à pouvoir parler du Paris-Brest tel qu'eux le vivent.
Après manger je retrouve les quatre Catalans qui étaient arrivés 20 minutes après moi. Je suis très fatigué, mais je me dis que je pourrais dormir à Dreux. Les 75 km se feront plus facilement avec ma super équipe. Nous partons donc tous les cinq. Rapidement je somnole. Je lutte contre le sommeil à coup de claques et d'onomatopées en tout genre. Dans un village il y a un ravitaillement offert sur le bord de la route. Je m'arrête prendre un café. Je retrouve Alain (magazine 200) en train de boire un café assis dans un fauteuil. Il n'y a pas que pour moi que la nuit est difficile à traverser !... Je reprends rapidement la route pour rejoindre mes compagnons. De rouler un peu fort me fait du bien, mais bientôt l'effet de la caféine se dissipe et je commence à rouler en zigzag. D'un instant à l'autre je peux m'endormir sur le vélo. Il est temps de s'arrêter.
Je dis à Manuel que je ne peux pas continuer. Il me dit que lui aussi est à la limite mais qu'il continue avec les autres.
Je trouve une sorte de petite place avec une croix un peu à l'écart de la route. Je pose le vélo, m'enveloppe dans ma couverture de survie et me couche parterre.
...
Je me réveille. Un petit point sur la situation :
Je suis au milieu de nulle part, il est 3h00 du matin et il bruine. Si je vous dis qu'à ce moment-là c'est l'extase totale vous auriez du mal à me croire, et vous auriez bien raison.
J'ai l'impression d'avoir suffisamment dormi pour reprendre la route. Heureusement dans ma fourchette horaire je ne roule jamais longtemps seul. Je me fais doubler par un Flamand en randonneuse qui roule énergiquement. Je me mets dans sa roue et il m’emmène ainsi jusqu'à Dreux.
Je ne manque pas de le remercier à l'arrivée !
Je pointe à 3h54. Comme à chaque fois que j'arrive quelque part, j'ai plus faim que sommeil. Avant d'aller manger je cherche l'infirmerie pour voir s'ils ont quelque chose pour soulager les fesses. Pas d'infirmerie à Dreux, je finirai donc avec mon tube d'Homéoplasmine.
Quoi, qu'est-ce qu'elle a ma gueule ? Très bonne soupe et du raisin, chouette ! Voilà de quoi se mettre de bonne humeur.
Je discute avec un diagonaliste qui fait son premier PBP. Il me dit qu'il ne le refera pas. il a plein de griefs contre l'organisation. Il reconnait le dévouement des bénévoles mais trouve que l'infrastructure n'est pas à la hauteur. Il trouve que c'est une honte de voir dormir des gens parterre, que la sécurité ne devrait pas laisser les gens dormir dans le fossé, la tête à quelques centimètres de la chaussée...
Je le laisse à son constat sévère et je commence à calculer la suite des événements :
Fermeture du dernier contrôle à 11h15. Il me faut environ 3 heures pour y aller. Si je veux me laisser deux ou trois heures de marge pour prévenir un problème mécanique il faut que je parte... maintenant !
Allez go, c'est parti pour la dernière étape !
Je me retrouve dans un groupe d'américains. L'un d'eux parle parfaitement français. Il dit "antiquaire" au lieu de "vintage". Il est de Seattle, je lance alors la discussion sur Jan Heine, le créateur de la revue Bicycle Quaterly. Apparemment il n'est pas apprécié par tout le monde là-bas...
Puis le jour se lève. On entre en région parisienne. Ce sont les kilomètres les plus pénibles à faire. Je n'arrive plus à m’asseoir sur ma selle. J'expérimente une technique très moyennement efficace où j'alterne danseuses et position aérodynamique avec les fesses derrière la selle... à ce train là les derniers kilomètres ne passent pas vite.
Un autochtone offre du café et des gâteaux devant son portail. Petite pause sympa en compagnie de deux Australiens en tandem avec qui (hasard étonnant !) j'avais fait la queue pour le contrôle des machines la veille du départ.
Tiens, il se met à pleuvoir. Ah ! la région parisienne sous la pluie quel "pied" ! En même temps je me dis que c'est bien d'avoir eu un peu de pluie sur ce PBP. Il m'aurait manqué quelque chose autrement !
Tout tranquillement, sans emphase mais quand même ému (on le serait à moins) je passe la ligne d'arrivée et je vais faire tamponner mon carnet de route !
Merde alors ! je l'ai fait ! Le PARIS-BREST-PARIS ! Dingue !
Une de mes premières pensées c'est que 4 ans c'est long pour remettre ça. Oh ! oui, j'ai envie de recommencer ! Parce que c'est une ambiance incroyable, et puis j'ai le sentiment de plein de petits ratages sur cette première expérience que j'aimerais corriger la prochaine fois.
Arrivée à 9h20. 86h49 dont 56h30 de vélo. Sur mon plan de route j'avais imaginé 55h de vélo (c'était bien vu) pour un total de 75h. Dans la réalité, avec la fatigue et les problèmes de santé, il m'a fallu bien plus de 20h d'arrêt. En tout cas, j'ai mal, j'en ai ch... mais le bilan est positif puisque je suis arrivé !
Dans le vélodrome je retrouve Manuel. Quel plaisir d'avoir pu se revoir ! Il est arrivé tout seul peu après moi après avoir dormi à Dreux. Ses compagnons étaient repartis directement de Dreux et sont arrivés à l'aube. Nous mangeons ensemble le petit déjeuner offert (un plat de pâtes, mais qui s'en plaindrait ?) en compagnie de Brigitte et Cricri, arrivé la veille après un PBP mené de main de maître.
    Merci Brigitte pour la photo !
En retournant au parking je vois les deux vélos 1900 des Italiens. Bravo les gars !
Nous nous disons au revoir avec Manuel. Nous nous reverrons j'en suis sûr, au plus tard en mai 2016 sur le BRM 600 Barcelona-Perpignan-Barcelona qui a lieu tous les deux ans. Rendez-vous est pris !
Et voilà c'est sur parking, sous la pluie, que se termine mon premier Paris-Brest-Paris. Je suis épuisé mais j'ai le cœur léger. J'emmène en souvenir avec moi les deux korrigans qui, encore au moment où j'écris ces lignes, continuent de me marteler les tibias...
De retour au Puy je ne manquerai pas de fêter ce PBP avec tous les copains du GCP qui ont été formidables dans leur soutien et leurs encouragements. Merci à tous ! Merci Président ! Merci Jojo !

VIVE LE VÉLO !!!

    Pour réussir un tel exploit il faut bien-sûr des porte-bonheurs au creux de sa sacoche :

20 commentaires:

  1. Encore une fois: bravo ! Et merci pour ce récit.

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  2. Salut Rémi, ca fait du bien ton récit, pas de bol avec ces œdèmes, c'est quoi ce truc qui vient t'emmerder justement sur le PBP, Je t'ai suivi sur net et ainsi qu'une belle bande de copains et j'avais les boules de ne pas avoir mal aux fesses, j'aurai aimé! Bravo tu l'as fait.
    Quant au mal aux fesses + le reste je vais résoudre le problème, je vais commander un vélo couché au pire si ca va pas je revendrais ce qui m'étonnerait.
    A bientôt

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    1. J'ai bien pensé à toi pendant ce PBP ! Ouais n'importe quoi cette histoire d’œdèmes mais je vais pas me plaindre.
      Le vélo couché pourquoi pas mais alors caréné, c'est vraiment la classe !
      à bientôt

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  3. Bravo Rémi et merci pour ce CR passionnant et humble !

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  4. Eh ben dit donc !!! Ca devait pas etre de la tarte.Quel courage Bravo Remi !Respect!
    J'ai vraiment pris plaisir à lire ton periple.Et en plus v'la ti pas qu'il est ecrivain.
    @+champion.

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    1. Merci Gégé pour tes commentaires, c'est toujours un grand soutien !

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  5. J'ai suivi ton périple, passionnant ! Mais il faut être un peu fou pour réaliser un truc pareil !
    En tout cas, chapeau et maintenant il ne nous reste plus qu'à déguster un Paris-Brest avec un petit verre !

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    1. Merci Jean-Pierre, le Paris-Brest c'est prévu ! peut-être pas vendredi qui vient mais le suivant. Je vous tiens au courant par mail et par le blog du GCP.

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  6. Trois beaux récits qui illustrent les états par lesquels on doit passer au cours d'un tel périple..entre internationale bidouillée, repos un peu n'importe où, lassitude, moments d'euphorie, bobos bien gênants et douloureux mais aussi plaisir de retrouver la famille ou bien de superbes rencontres au hasard de la route..dommage de finir sous la pluie ...(triste le parking à vélos) Encore bravo et respect pour avoir vaincu un tel monument. Ça fait envie et peur à la fois...Bonne récupération !

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    1. Merci Gilles ! c'est vrai le parking était un peu sinistre mais moi j'étais heureux alors même la pluie restera un bon souvenir.

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  7. Comme Gilles , ça donne envie , et peur également , Merci pour le partage avec un superbe récit de qualité .
    vraiment de grand moment , entre doutes , euphorie , lassitude, et au final , l'envie de remettre ça dans quatre ans BRAVO Rémi !!!!!!!!!!!!!

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  8. Merci Gillou ! c'est chouette si ça donne envie. Et puis si ça fait peur c'est encore plus tentant, non? Rendez-vous dans 4 ans !!!

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  9. Un GRAND BRAVO Rémi pour l'exploit que tu as réalisé!!Tu peux être vraiment fier de toi!!Ton rêve s'est réalisé même si parfois tu en as vraiment bavé.Je t'ai suivi sur le site et je t'ai envoyé sms pendant ton PBP mais je ne sais pas si tu avais ton portable!!
    Ton article est passionnant!
    La flèche avec toi pour coacher ça serait une super aventure!!
    a bientôt pour te féliciter en direct!!!

    25 août 2015 00:25

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    1. Merci Anne-Laure !
      oui j'ai bien eu tes sms, c'était super ! mais mon portable a lâché je ne pouvais plus utiliser les touches. Encore un truc qui n'arrive jamais et qui me tombe dessus le jour j...
      Pour la flèche pas de problème, je devrais être remis d'ici là ;)

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  10. Bravo champion t un un solide respect irvin

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  11. 55h c'est ce que j'ai fait sur le vélo... Donc ton 75h au total n'est pas loin... Gageons que la prochaine fois... En tout cas UN GRAND BRAVO... Tu es finisher et c'est bien le plus important

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    1. Oui c'est le plus important, et il me faudra encore du temps pour le réaliser pleinement !

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